Depuis le temps qu’il y a des gens qui dorment mal, voire qui se plaignent de ne plus dormir « du tout » , les explications n’ont pas manqué :
-Les unes se rapportant à une mauvaise hygiène de vie :
Des journées stressantes, ou pas assez
La télé dans la chambre à coucher
Trop de café , ou à la mauvaise heure
-D’autres plus sophistiquées dont la fameuse apnée du sommeil, entraînant le port d’un masque contraignant ou de prothèses dentaires qui à leur tour vont venir perturber le sommeil …
Sans vouloir ignorer l’influence de ces différents facteurs ou d’autres encore comme l’usage ou le mésusage des anxiolytiques ,
force nous est de constater qu’aucune interprétation ne saurait recouvrir la totalité des cas, nos patients continuant d’errer de centres du sommeil en forums improvisés, à la recherche du sommeil perdu .
Je ne vais donc pas à mon tour proposer « la » recette-miracle , mais suggérer une approche qui me parait correspondre à une part non négligeable de nos patients .
Dans un même après-midi , en voici trois qui , sous des apparences très différentes, m’ont paru relever du même symptôme , ce que je me suis permis d’appeler « la mauvaise conscience » de l’insomniaque .
Il y a eu cette dame d’une cinquantaine d’années, particulièrement irascible ,en guerre contre le reste de sa famille, une guerre qui a d’autant moins de chances de s’éteindre que personne ne veut faire le premier pas ,surtout pas elle, dont elle s’estime la victime de « tout ce qui est arrivé » et en particulier de son ex-mari, dont elle voudrait « qu’il crève » .
Il y a eu ce jeune homme d’une trentaine d’années ,brillant conférencier dans les musées parisiens , mais ne supportant plus d’être tributaire d’organismes touristiques et encore moins de ces touristes eux-mêmes dont il estime qu’ils ne le méritent pas . Alors , se mettre « à son compte » ,pour pouvoir dire ce qu’il a à dire .et qui ne correspond pas à la version officielle ...avec quels risques et quelles perspectives ?
Enfin, il y a celle-ci, qui ressemble à beaucoup d’entre nous en ce retour de vacances ,et qui n’ose pas, devant ce qu’elle considère comme « l’ampleur des dégâts « , aller voir son « banquier » pour négocier un accord qu’il lui a pourtant , de lui-même, suggéré ?
Qu’y a-t-il de commun, entre ces 3 patients ,
Pas l’importance du problème :
-l’une voudrait renouer la relation impossible avec toute sa famille
-l’autre s’interroge sur son avenir
-la 3ème enfin n’a qu’à résoudre une difficulté ponctuelle avec un conseiller financier , dont c’est par ailleurs le métier.
Alors , qu’y a-t-il de commun , entre ces 3 personnes , si ce n’est le fait qu’elles n’aient pas résolu-à l’état de veille- les problèmes qui leur auraient permis de s’endormir avec « la conscience tranquille » .
Tout se passe comme si la fonction –en quelque sorte- de l’insomnie consistait à résoudre , pendant l’espace-temps normalement consacré q au sommeil, ce qui aurait dû l’être à l’état de veille .
Entendons-nous bien , ceci n’a rien à voir avec l’inconscient ,tel qu’il s’exprime en particulier à travers les rêves ,ainsi que Freud nous l’a magistralement enseigné .
Ceci a affaire avec l’impossibilité de relâcher les tensions conscientes , telles qu’elles auraient dû être résolues à l’état de veille .
Il y a une histoire juive qui résume très bien le problème :
Isaac ne parvient pas à s’endormir parce qu’il doit de l’argent à son voisin Abraham, et qu’il sait qu’il ne pourra pas le lui rendre dans les délais promis .
Jusqu’à ce que sa femme, exaspérée, ouvre la fenêtre qui sépare les deux maisons et interpelle Abraham :
« Tu sais, Abraham, je te préviens, Isaac ne pourra pas te rendre demain l’argent qu’il te doit … »
Avec ce commentaire ,destiné au mari :
« Maintenant, c’est lui qui ne dormira plus »
A méditer par les insomniaques qui ne peuvent plus se lâcher dans le sommeil, faute d’avoir pu, en état de veille, résoudre les problèmes qui leur auraient permis d’avoir « bonne conscience » .